Religions

Quelques notes sur la place du protestantisme dans l’Histoire de l’Église

Les relations particulières du Christianisme et de l’HistoireJésus, Christ et Seigneur
Jésus, crucifié et ressuscitéTous les chrétiens peuvent s’entendre là-dessus, tout simplement parce que ces deux confessions sont à l’origine du Christianisme. Elles indiquent déjà un triple rapport avec l’histoire.D’abord, pour comprendre le sens de ces mots, nous sommes obligés de faire référence à des connaissances historiques:Jésus = salut, sauver (racine hébraïque)
Christ = référence à l’espérance messianique juive - particularisme
Seigneur = référence au culte impérial romain marqué par la culture hellénique- universalisme
Crucifié = le supplice réservé aux esclaves par les Romains
Ressuscité = dans l’espérance eschatologique pharisienne, la résurrection est le sort commun de tous les hommes et elle est le premier acte du jugement dernier.Tout cela est bien évidemment très loin des préoccupations des hommes d’aujourd’hui. Mais c’est l’Histoire qui nous met en relation avec ces réalités mortes.Ensuite, la séquence «crucifié et ressuscité» fait référence à l’histoire particulière d’un petit groupe de gens organisé autour de la personnalité de Jésus. Le contenu de cette histoire est un drame au sens théâtral ou romanesque du terme.Si les deux histoires qui précèdent sont possibles, si des gens nous ont raconté cette histoire, s’il est important que nous nous fassions une idée du contexte historique et géographique dans lequel elle s’est déroulée, c’est parce que cette histoire nous concerne. Ceux à qui elle arrivé ont su en faire partager les enjeux aux générations suivantes et ce jusqu’à aujourd’hui. Non seulement l’histoire de Jésus a marqué l’histoire personnelle des disciples, mais de générations en génération, elle est rentrée en écho avec l’histoire personnelle de quantité de personnes et de groupes.C’est dire si les relations que le christianisme entretient avec l’histoire sont complexes. Ce sentiment de complexité s’accroît encore si l’on considère que le christianisme naît de la proclamation de la fin de l’histoire. Il suffit de lire le discours de Pierre à Pentecôte (Actes 2) pour constater que la figure qu’il trace du Jésus crucifié et ressuscité, fait Christ et Seigneur est celle du messie de la fin des temps. Enfin si cette histoire qui ne concerne apparemment que le tout petit peuple juif sort de ce cadre étroit pour aller semer le trouble dans toutes les cultures, c’est parce qu’elle répond à une attente universelle. L’apôtre Paul est, sans doute en partie malgré lui, le témoin d’un engouement inattendu des païens pour le Christ Jésus. Cela peut s’expliquer par le fait que l’empire romain est traversé à cette époque par de nombreux courants apocalyptiques qui redoutent un cataclysme final et proposent tous des pratiques individuelles de salut.Si l’on considère que le discours de Pentecôte annonçait la fin des temps, on est en droit de penser que le christianisme est une religion qui n’a aucune raison d’être. Comme l’a dit Loisy, «Jésus annonçait le Royaume de Dieu et c’est l’Église qui est venue!». Ce qu’attendaient les premiers chrétiens n’a toujours pas eu lieu. Il y a de quoi être déçu. Après deux mille ans, on serait en droit de considérer que le dieu des chrétiens a perdu toutes ses chances de se faire prendre au sérieux.Or, c’est tout le contraire qui se passe. Il y a dans l’Ancien Testament au moins deux précédents de cette extraoridinaire vitalité théologique. Déjà, la rupture de l’exil à Babylone aurait du inciter les hébreux à laisser tomber ce Dieu qui les avait abandonné ou qui avait été vaincu par des dieux étrangers. Or, l’idée universelle d’un Dieu non seulement unique, mais aussi tout-autre, est née de la résistance d’un tout petit peuple vaincu à son assimilation par les vainqueurs. Elle aboutit à l’idée que la totale altérité de Dieu est le fondement de la singularité de chaque être humain.Alors qu’elle constitue le point focal du message du Nouveau Testament, la rupture de la croix et de la résurrection n’ouvre pas non plus sur une disparition du monde et sur l’échappée dans un autre monde, mais sur une religion de l’attente et du provisoire. Ce qui de nouveau implique un rapport très équivoque à l’histoire: d’une part l’histoire est finie, ce monde est considéré comme pour ainsi dire fichu, condamné; mais d’autre part l’histoire est tendue vers un but ultimement positif qui lui est totalement extérieur. Cette tension est à l’origine de l’extraordinaire fécondité historique du christianisme et de son extension du Proche Orient et de l’Afrique du Nord à l’Europe et de l’Europe au monde entier. Le grand dérangement qui avait fait naître un peuple neuf de la déjà vieille Égypte se propage dans l’histoire de notre humanité, la met en branle et rend toujours à nouveau l’humanité étrangère à elle-même.Tout commence pour le Christianisme par la transmutation d’un obscur messie crucifié juif en Seigneur ressuscité impérial. Ses disciples devenus apôtres font, post mortem, usurper à Jésus le titre sacré par lequel Rome entend assurer la cohésion de son empire atteint par le gigantisme et menacé par le pluralisme religieux. La menace que constitue cette imposture de génie ne sera pas tout de suite prise au sérieux mais fera forcément des premiers chrétiens des hors la loi.Prolongée au delà de deux ou trois génération, l’attente du retour glorieux du Christ et l’opiniâtreté avec laquelle ils continuent de se tenir prêt à le recevoir obligent les premiers chrétiens à envisager les choses non seulement en termes de morale, mais aussi d’histoire, c’est à dire de transmission et de témoignage.Dans le même temps, la saga de ce messie crucifié et ressuscité va fonctionner comme un extraordinaire pôlarisateur des attentes eschatologiques des populations les plus diverses destabilisées dans leur identité ethnique par l’extension de l’empire. Cela confère très tôt au christianime la valeur d’un universalisme officieux, syncrétique et spontané, qui s’impose progressivement en marge d’un universalisme officiel et imposé. De ce fait, la religion chrétienne se trouve dès le départ dans un rapport ambigu avec la politique et les particularismes éthniques et culturels. C’est le caractère explosif du mélange qu’elle va réaliser qui en garanti sans doute la fécondité et la pérennité.Dans l’histoire de ce grand dérangement des temps et de ce grand estrangement des hommes à leur terre, à leur culture et à leur civilisation, histoire commencée de façon obscure dans une zone géopolitique qui reste encore aujourd’hui la plus troublée du bassin méditerranéen, on peut distinguer 5 grandes périodes charnières, 5 grands tournants des temps où la structure eschatologique du christianisme a joué un rôle:I. La rupture constantinienne
II. De la relève de l’empire au schisme de 1054
III. Le bouillonnement médiéval
IV. L’Âge des réformes
V. Du siècle des lumières à la terreur atomiqueI. De l’Église parasite à l’Église partenaire: la rupture constantinenneDans la foulée des voyages de Paul et des autres apôtres va se constituer progressivement un réseau d’églises essentiellement citadines liées par des échanges constants d’hommes, de textes et rendues solidaires par de sporadiques persécutions.Si le texte de l’Apocalypse de Jean montre que les premiers chrétiens sont sans illusion sur la nature de l’empire romain, les lettres de Paul ainsi que certains passages des évangiles concernant notamment les centurions montrent que, malgré les persécutions, l’attitude de l’Église à l’égard de l’empire n’est pas une attitude d’opposition agressive, mais un mélange de non-violence politique et d’intolérance religieuse.Même si elle probablement inconsciente, la stratégie qui se dessine déjà dans les épîtres de Paul et de Pierre est claire. Il s’agit de donner des gages d’honorabilité civique, sans céder jamais sur les questions religieuses. Cette non-violence se fonde sur une de totale indifférence à l’égard du monde présent qui s’explique par la conviction que l’avènement du règne de Dieu est imminent. Mais au fur et à mesure que l’attente se prolonge, on s’applique à employer au mieux le temps accordé d’une part en anticipant sur l’avènement du royaume et d’autre part en faisant en sorte que cette anticipation témoigne positivement de la qualité du règne à venir.Dès l’origine, l’attente prolongée avec opiniâtreté de l’avènement d’un Royaume qui reste toujours à venir conduit l’Église à n’être jamais satisfaite de l’empire présent. Cette stratégie inconsciente va faire passer l’église de la tolérance politique et de la marginalité religieuse au statut de religion officielle de l’Empire. L’évolution de l’Église dans les siècles qui ont précédé la rupture constantinienne, l’enracinement de la foi chrétienne dans l’universalisme juif, la conviction du christianisme d’être l’héritier et le réalisateur de la vocation universelle du judaïsme, tout a préparé la religion chrétienne à assurer la relève de la défaillante religion d’empire dont les empereurs avaient échoué à se faire dieux. Dans cette course au pouvoir, le christianisme viendra à bout de la concurrence directe que lui fait le culte solaire de Mithra. Si au moment d’une bataille décisive où se jouent le salut et l’unité de l’empire, Constantin apparaître une croix en surimpression du Soleil dont les rayons viennent baigner le champ de bataille, cela signifie que la croix se substitue à Mithra occupe désormais la place du Sol invictus.Le christianisme avait déjà partie liée avec l’empire qui, par la paix qu’il procurait, par l’entretien des infrastructures et d’un commerce actif, par les remises en questions que cette accroissement des échanges provoquait, avait favorisé sa diffusion. Désormais, le Christianisme se voyait chargé de la cohésion de l’empire. Ce choix ne se réalisera pas d’un seul coup. L’édit de Milan signé par Constantin en 313 n’est un édit de tolérance à l’égard des chrétiens. Ce n’est qu’après les persécutions menés par l’empereur Julien (dit l’apostat!) au nom du culte de Mithra que le christianisme acquérera le statut de religion d’État (380-381).Les conséquences de l’acquisition progressive de ce statut de religion d’état sont multiples:1. Les relations Église-État seront toujours ambiguës: la religion chrétienne n’est pas créatrice du pouvoir impérial et le pouvoir impérial n’est pas créateur de la religion chrétienne. Dès l’origine, il s’agit d’un contrat d’association qui lie deux puissances qui ont besoin l’une de l’autre, mais qui n’ont ni les mêmes fondements, ni le même rôle, ni les même buts. Chaque fois que ces fondements, ce rôle et ces buts seront remis en question, on passera de l’association au compromis, du compromis à l’indifférence et de l’indifférence au conflit. En tout état de cause, il n’y aura jamais fusion.
2. L’Empire est à l’origine de l’unité organique de l’Église, d’abord par les persécutions qui obligent les Églises locales à la solidarité, ensuite par les attentes que les empereurs vont manifester à l’égard d’une religion dans laquelle ils voient d’abord un facteur de cohésion politique. Il arrivera bien souvent dans l’histoire que, soucieux avant tout de paix civile, le pouvoir politique impose au pouvoir religieux par le conflit ou par le compromis de ses querelles internes. Toujours est-il qu’à la nécessité d’une unité organique du réseau ecclésial va maintenant se sur-ajouter la nécessité d’une unité doctrinale. Maintenant que le Christianisme peut s’exprimer au grand jour, son caractère composite va se manifester de façon de plus en plus criante.
3. Ce caractère composite du christianisme va être le moteur d’un débat théologique constant qui va très vite se cristalliser autour de l’opposition hérésie/orthodoxie (Hérésie = choix particulier qui exclut une partie de la tradition; orthodoxie = vision droite des choses). Les deux termes de l’opposition ne sont pas contraires et laissent ouvert tout un espace de liberté et de malentendus possibles.
4. Toujours est-il que cet effort intellectuel et ce statut de religion officielle donne au Christianisme un second souffle et stimule son son extension.Que retenir de cette période?4 conciles oecuméniques,
convoqués à la demande du pouvoir impérial et dont les productions constituent aujourd’hui le fond commun de l’ensemble des confessions chrétiennes.En 325, le concile de Nicée va décider de la date de Pâques et entamer une réflexion sur les deux natures du Christ face aux Ariens qui ne veulent pas accepter la divinité du Christ
En 381, le Concile de Constantinople va, à la demande de l’empereur établir le texte d’une confession de foi qui précise encore plus le dogme des deux natures et qui établit les grandes lignes de la doctrine trinitaire.
En 431 et en 451, les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine vont en quelque sorte assurer le service après-vente de Nicée et de Constantinople en précisant qu’il y a en Dieu trois personne en une et deux natures sans séparation ni confusion.
Ces termes quelques peu abscons, dont le fondement biblique peut paraître douteux sont les témoins d’un énorme effort intellectuel. Il s’agit d’exprimer le christianisme dans le vocabulaire de la philosophie grecque. Tout se passe ici encore comme si l’histoire s’évertuait avec le chrtistianisme à fabriquer des cercles carrés. Il y a cependant fort à parier que cette incompatiblité culturelle est à l’origine de la fécondité du christianisme. Il fonctionne non seulement comme le noyau de cristallisation d’une pluralité d’attentes, mais aussi comme le pôlarisateur d’un quantité considérable de problèmes de tous ordres dont il n’est pas évident que nous en ayons finis avec eux.
Il faut savoir aussi que ceci aura des conséquences pour la France, puisque grâce aux bons offices de Clotilde, Saint Rémy convaincra Clovis d’adopter le Christianisme au détriment de l’Arianisme qui était à ce moment la religion majoritaire des Francs. Il faut savoir aussi que si le Coran parle de Jésus, c’est qu’il cherche à récupérer les chrétiens «monophysites» que le concile de Nicée et les suivants vont mettre hors la loi.2 personnages dont l’oeuvre influencera définitivement l’histoire du christianisme:Saint-Jérôme est le représentant de l’effort constant de transmission écrite des textes sacrés et de la mémoire de l’Église. Au minimum, il faut savoir qu’il est le premier traducteur d’une bible complète, et ce en latin. Ce faisant, il contribue à la latinisation de l’Église occidentale (405). Cette traduction, dite Vulgate, est encore aujourd’hui le texte de référence qui fait autorité dans l’Église catholique. Il est aussi l’auteur du De viris illustribus, récit historique édifiant où il met côte à côte des personnages de l’histoire romaine et des martyrs de l’Église des premiers siècles.Saint Augustin (354/430), revêt quant à lui une importance fondamentale pour la théologie chrétienne et particulièrement protestante. Il est bon de savoir que Saint-Augustin était berbère et que l’Afrique du Nord était à cette époque la zone la plus chrétienne de l’Empire Romain. C’est un jeune homme plein d’avenir qui se convertit au Christianisme et demande le baptême après être passé par le manichéisme. Il se destine à une vie monacale, mais est appelé à assurer la charge d’Évêque d’Hippone en 396. Il mettra alors sa formation et ses talents intellectuels au service de l’Église. Les différentes déviations auxquelles il aura à faire face l’amèneront à préciser sa réflexion théologique. Il est, entre autres, l’auteur des Confessions, de La cité de Dieu . Ce dernier texte contribuera à entretenir la distinction entre l’Église et l’Empire en précisant théologiquement leurs rapports, il aidera de ce fait l’Église à traverser la tourmente de la chute de Rome. Enfin, Saint Augustin est l’auteur d’un Contre Pélage, dans lequel il réfute les thèses de l’évêque Pélage sur la coopération du chrétien à son salut. Ce texte jouera un rôle fondamental dans la définition du protestantisme et aussi du jansennisme.II. La relève de l’Empire. De la chute de Rome (476) au grand schisme (1054)Cette période se caractérise par le fait que l’Église, surtout en Occident, va prendre la relève de l’Empire comme force de cohésion sociale et de paix civile et comme foyer de civilisation. Le schisme de 1054 est la conséquence autant de l’échec que de la réussite de cette relève.Les efforts de Constantin pour maintenir l’unité de l’empire à partir de la plaque tournante de Byzance/Constantinople n’auront qu’un temps: à la mort de l’empereur Théodose, l’empire éclate en deux parties. Un peu moins d’un siècle plus tard, Romulus Augustus, empereur d’Occident sera destitué par l’envahisseur. À l’est, la tradition impériale se survivra tant bien que mal jusqu’en 1453. À l’Ouest, des envahisseurs successifs vont se tailler des royaumes sur les ruines de l’Empire. Cette ère de troubles s’accompagne d’une régression totale de la civilisation urbaine. Malgré cela, l’Église reste l’héritière d’une certaine forme de rapport au pouvoir, comme en témoigne l’attitude de Rémy envers Clovis, rois des Francs. Qui plus est, dans cette zone d’instabilité où le pouvoir est morcelé, elle reste la seule puissance unifiée sous l’autorité de l’Évêque de Rome. En face de la désertion des villes et de la désertification des campagnes, elle développe une nouvelle forme de présence: le monastère. À l’est comme à l’Ouest, le modèle chrétien n’est plus celui de l’évêque martyr, mais celui du moine évangélisateur. Aussi, les grands noms à retenir pour cette période sont ceux des grandes figures bénédictines: Benoît de Nursie d’abord, créateur de l’ordre au Mont Cassin, le pape Grégoire le Grand, lui-même moine bénédictin et qui sera à l’origine du dévelopement de l’ordre. Mais aussi ailleurs, bénédictins ou non, Saint-Cyrille et Saint Méthode, évangélisateurs des peuples slaves qu’ils doteront d’une écriture, Saint Patrick, patron de l’Irlande, Saint Colomban et saint Gall évangélisateurs de l’Helvétie, etc… Sous la poussée de l’Islam (622) conquérant qui réduit l’Empire d’Orient à une peau de chagrin, le Christianisme se développe à l’ouest et au nord.En dehors de la période Carolingienne qui ne concerne que le Nord-Ouest de l’ancien Empire, il n’y aura plus d’unité politique à l’ouest, et l’Église restera la seule force de cohésion face à un système féodal. Avec l’insécurit,é les échanges deviennent plus rares et plus dangereux. De moyen de communication, la Méditerranée se transforme en fossé. La rupture religieuse entre le christianisme occidental et le christianisme oriental viendra sanctionner un état de fait culturel, politique et économique.Il faut retenir de cette période le fait que, si l’Église n’a pas sauvé l’Empire, si elle n’a même pas su conserver son unité doctrinale et confessionnelle, elle a sauvé du néant les richesses culturelles et spirituelles que l’Empire avait su accumuler au cours des siècles. Symboliquement, on peut même dire qu’elle est passé au travers d’un des tournants des temps les plus apocalyptiques de l’histoire de l’Occident et qu’elle est restée en mesure de contribuer à la résurrection de sa civilisation. Le paradoxe, c’est que ce sont les moines, dont la vocation est en principe celle de se retirer du monde, qui ont été le support de cette réussite.III. Le bouillon de culture médiévalPendant tout le Moyen Âge, deux tendances majeurs vont interférer l’une sur l’autre et ce sur deux lignes de tensions:- Église et pouvoirs:l’Église est la seule structure organisée qui couvre, au delà de ses anciennes frontières septentrionales, le territoire de l’ancien Empire d’occident. Elle va constituer tout au long du Moyen Âge un enjeu convoité et un pouvoir redouté. Le débat va se polariser sur deux questions: la nomination des évêques et le statut fiscal des monastères et des biens d’Église. Ainsi, si, la Réforme échoue à s’imposer auprès de François 1er, c’est parce que l’Église a su résoudre cette question à l’avantage financier du monarque. Ce qu’elle n’a pas su, pu ou voulu faire en Allemagne, faute d’un interlocuteur unique. Si la Réforme ne s’implante pas en France, c’est parce que l’Église catholique a su y sacrifier ses intérêts financiers au profit de ses intérêts spirituels.D’une manière générale, les enjeux spirituels seront toujours envisagés aussi sous leur aspect d’enjeux de pouvoir. L’Église aura toujours besoin du bras séculier pour venir à bout des déviances trop excessives que ses contradictions motrices ne peuvent que provoquer. Dans le traitement des problèmes qui se présenteront à elle, sa stratégie, particulièrement efficace pendant au moins dix siècles, peut se résumer en trois points: digestion monastique, fuite en avant (croisades) et répression (inquisition).- Foi et raison:la conservation par l’Église du patrimoine culturel et intellectuel de l’ancien Empire la rend détentrice non seulement d’un message évangélique quelque peu explosif, mais encore d’un capital culturel qui continue de se développer, entre autre parce que le caractère déstabilisant du message évangélique, son étrangeté foncière et sa non-concordance à l’égard du patrimoine culturel hérité de l’Empire est un fantastique stimulant intellectuel et spirituel. Mais ce développement va être de plus en plus difficile à contrôler. Contrairement à l’image qu’on donne habituellement du Moyen-Âge sa caractéristique essentielle du point de vue chrétien est l’extraordinaire bouillonnement intellectuel et spirituel. Ce mouvement qui ne concerne au départ que les élites, va progressivement faire apparaître la question du peuple, de son accès non seulement à l’Évangile, mais aussi à la culture (Lire, écrire, compter) comme la question cruciale.Le Moyen Âge est l’âge de la montée en puissance du mouvement monastique: chartreux avec Saint Bruno, Cisterciens avec Robert de Molesme et Bernard de Clairveaux, Franciscains avec Saint-François. Il est aussi l’âge de la montée des mouvements religieux populaires, un peu vite baptisés hérésies: les vaudois et les cathares. Les vaudois (Pierre Valdo, 1140-1215), que rien ne sépare fondamentalement de l’orthodoxie chrétienne se rallierons plus tard à la Réforme. Les cathares, dont la religion n’a plus rien à voir avec le christianisme, disparaîtrons complètement victimes d’une répression impitoyable. Il est aussi l’âge des tentatives de réforme sans cesse recommencées: Wicliff (1324-1384) en Angleterre, Huss (1369-1415) en Bohême. Déjà apparaissent les courants qui vont se cristaliser autour de la Réforme: importance du fait national, mise en avant de la Parole de Dieu transmise par les Écritures contre l’autorité pontificale détentrice de la tradition, refus de la confession, refus des indulgences, sécularisation des bien du clergé au nom d’une Église pauvre avec les pauvres, etc…C’est enfin, avec la scolastique, l’âge de l’Église intellectuellement triomphante. Si elle est seule détentrice de la culture, monopole qu’elle perdra avec la Renaissance, elle en fait un usage conforme au message de la parabole des talents. De ce point de vue trois noms au moins sont à retenir: celui d’Anselm de Cantorbery (Aoste 1033 - Cantorbery 1109) qui développe la preuve ontologique de l’existence de Dieu (Nous avons en nous l’idée d’un être parfait, cette perfection est la preuve de l’existence de Dieu). Il est à l’origine d’une formule fondamentale pour la théologie et importante pour le protestantisme: Fides quaerens intellectum. Celui de Pierre Lombard (Novarre 1100 - Paris 1160) rédacteurs des Sentences, recueil commenté de sentences des pères de l’Église. Enfin, celui de Saint-Thomas d’Aquin qui naît à Aquin en 1225 et meurt à Naples après avoir enseigné à Paris et à Rome. Saint-Thomas est le premier a avoir fait la synthèse de la philosophie Aristotélicienne et de la théologie chrétienne. Son oeuvre philosophique et théologique conserve encore aujourd’hui une forte influence, y compris pratique, sur la vie de l’Église. Il faut aussi savoir que la Réforme luthérienne c’est en partie faîte contre cette influence thomiste. C’est entre autres Thomas d’Aquin qui systématise l’idée que la responsabilité de l’homme quant à son salut est fondée sur une capacité naturelle à acquérir des mérites. Luther niera toute capacité, même partielle, de l’homme pécheur à coopérer à son salut.IV. L’Âge des RéformesQuand on s’interroge sur l’originalité réelle de la Réforme, d’une part on s’aperçoit qu’il n’y a pas une réforme, mais des réformes protestantes ou catholiques. D’autre part on constate que tous les ingrédients qui apparaîtrons comme spécifique de tel ou tel courant de réforme sont déjà présent dans le bouillon de culture médiéval. De fait, tout a déjà été dit, mais dans le désordre. L’âge des réformes, c’est l’âge des remises en ordre et de la recherche de la cohérence et de la complétude, y compris en éliminant ce qui nuit à ces deux objectifs. En d’autres termes on peut dire que l’Âge des Réformes est celui où l’Église échoue à maîtriser sa pluralité.L’Église, qui sous l’autorité romaine, avait été jusqu’à présent un outil efficace de la préservation, de la transmission, de la diffusion et du développement de l’Évangile, de la culture et du savoir semble désormais faire écran tant au développement de la culture quà la transmission du message évangélique. Ce qu’elle a transmis lui échappe. Elle va se trouvée confrontée à la rupture de la Renaissance, que l’on peut caractériser par cinq tendances fondamentales, qui toutes menacent l’unité plurielle de l’Église.- retour aux sources antiques: cela est vrai aussi bien pour Aristote et Platon dont les textes originaux refont surface que pour la Bible
rigueur intellectuelle caractérisée par le souci de cohérence, de consistance et de complétude
humanisme: l’homme quitte le centre du tableau pour conquérir la position de l’observateur. Un nouveau sens de la réalité se fait jour avec Galilée.
le fait national
émergence d’une classe nouvelle demandeuse de culture et de spiritualité, et porteuse de revendications individuelles en matière de salut.Tout est en place pour une explosion et de nouvelles recompositions. L’opposition protestants/catholiques cache le phénomène le plus important de cette période: c’est en fait à un éclatement confessionnel et national du Christianisme auquel on assiste. Face à cette déflagration, l’Église catholique romaine tente avec plus ou moins de succès de sauver les meubles et de maintenir à l’Église son statut catholique, c’est à dire universel. Il faudra attendre 3 siècles pour que cette nécessité, évidente aujourd’hui, effleure la pensée protestante! Partout en Europe, on en vient au mains. La Réforme de l’Église qu’on pense enfin possible devient l’enjeu des succession dynastiques et conduit toujours à l’épreuve de force: de Henri VIII à Jacques II en Angleterre, de François II à Louis XIV en France. L’empire germanique ne réussira à s’en sortir qu’en consentant à son éclatement politique et religieux et après près d’un siècle de troubles et de violences.Dans cet éclatement, on peut distinguer néanmoins quelques pôles:- le pôle Luthérien qui s’organise comme tel autour d’un certain nombre de textes fédérateurs: Allemagne et Scandinavie
le pôle Zwinglio-Calvinien plus souple et plus divers dans son organisation: Allemagne, Pays-Bas, Ecosse, Suisse, Hongrie
le pôle (ana-)Baptiste qui va tout de suite être marginalisé et persécuté par toutes les autres tendances sans exceptions: le baptisme violent et millénariste sera éradiqué à la suite de la révolte de paysans, le baptisme non-violent (Mennonite) a essaimé dans toute l’Europe et en Amérique du Nord.
le pôle romain qui, sur la base d’une théologie entièrement recentrée et renouvelée par le Concile de Trente (Après le Concile de Trente, l’Église Catholique n’a pas plus de rapport avec l’Église d’avant la Réforme que les autres confessions chrétiennes, c’est, comme les autres, une nouvelle Église) maintient son influence sur l’Europe du Sud, la Pologne et l’IrlandeLes guerres de religion du XVI ème siècle vont largement contribuer à façonner le visage de l’actuelle Europe des nations en y enracinant le lien étroit entre appartenance nationale et appartenance religieuse. On pourrait dire que le protestantisme est la cause de ce phénomène de nationalisation et de politisation du christianisme. En fait, il s’agit d’un phénomène dû à la résistance de la direction Romaine de l’Église ancienne à la réforme. Pour passer outre cette résistance, les différents courants réformateurs se sont appuyés sur des pouvoirs politiques qui commençaient alors à fonder leur légitimité sur des réalité autres que religieuses. Face au problème de la diversité confessionnelle et nationale du Christianisme on assiste en Europe à deux mouvements contraires: dans le nord anglo-saxon, où l’influence protestante est la plus forte, des compromis fondés sur la tolérance vont se faire jour à l’instigation de pouvoirs publics qui s’éloignerons de plus en plus du principe de la monarchie absolue. À l’inverse, en Europe du Sud, l’absolutisme politique s’appuiera sur la réforme catholique pour s’installer durablement en France et en Espagne. Ceci aura des conséquences quant aux formes plus ou moins anti-chrétiennes que prendra le Siècle de Lumières.Il y a cependant des points communs positifs à toutes les réformes:- Les abus qui étaient à l’origine de la crise sont combattus partout et par tous.
- On assiste à une relance du travail théologique dans toutes les directions.
- Sur la base de ce travail et grâce à la diffusion de l’imprimerie, l’Âge des Réformes inaugure un considérable effort catéchétique en direction du peuple.
- On assiste aussi à une relance de l’oeuvre diaconalePlus que jamais, l’enjeu va désormais être la reconquête par l’Église de son universalité géographique, de son unité organique et de son pluralisme doctrinal. Le siècle qui suivra sera un siècle d’exploration et de systématisation qui va déboucher sur un nouvel éclatement, extérieur à l’Église celui-ci, mais provoqué par le raidissement des orthodoxies: le Siècle des Lumières.V. Du Siècle des Lumières à la terreur atomiqueCette quatrième période se caractérise par deux phénomènes majeurs: l’épuisement des conflits religieux et la montée de la sécularisation.Traditionnellement, on situe la source du Siècle des Lumières dans le «je pense, donc je suis» de Descartes. Ce renversement de perspective ne fait cependant que pousser jusqu’au bout le parti pris humaniste de la Renaissance. «Je pense donc je suis» a toujours été interprété comme la première tentative d’une définition de l’homme par lui-même qui permette d’assurer son autonomie. Par cette formule, Descartes entend conquérir sur le théâtre de la nature la position de l’observateur. S’il a encore besoin de Dieu pour faire marcher son système, des empiristes anglais à Kant, on va chercher à se passer de cette hypothèse pour élargir le champ de la connaissance.Les questions de foi vont progressivement être considérées comme des questions d’ordre privé et relevant de l’intériorité personnelle. La Réforme, notamment luthérienne a une grande responsabilité dans le développement de cette manière de voir les choses.S’opposant au «tout rationnel» du Siècle des Lumières, le romantisme va accentuer le repli de la question du sens dans le gettho de l’intériorité personnelle. L’influence politique de la religion va s’estomper plus ou moins selon les régions et le systèmes politiques.D’une manière générale on va assister à une intense activité théologique, mais qui sera désormais à la remorque de l’évolution des idées: le rationalisme est à l’origine du développement conjoint de l’orthodoxie protestante qui se veut un positivisme de la foi et du libéralisme qui réagit en souplesse. Il tente de soumettre les contenus de foi à la critique dans la conviction qu’il s’agit là d’une épreuve salutaire. Le romantisme trouve son équivalent religieux dans le piétisme qui va être à l’origine des mouvements de réveil. Cela étant, le piétisme sacrifie lui aussi à la modernité empiriste en ce qu’il exige de la foi qu’elle se soumette au verdict de l’expérience (religieuse). En ce qui concerne le protestantisme, c’est l’univers germanique qui va devenir intellectuellement dominant en théologie.Du coté catholique, le Vatican va imposer son statut d’arbitre en donnant alternativement des gages aux tendances modernistes et traditionalistes qui parcourent l’Église romaine. Deux événements importants: 1870 où l’entrée du Roi d’Italie Victor-Emmanuel II à Rome met fin à l’autorité temporelle effective du Pape (Elle ne sera plus désormais que symbolique). Cela va conduire l’Église romaine à abuser de l’arme du dogme: le concile de Vatican va définir le dogme de l’infaillibilité pontificale. Enfin, l’attitude du Vatican à l’égard de la République Française est un test du rapport que l’Église catholique entretient avec la démocratie libérale: avec l’excommunication de l’Action Française, 1920 marque le ralliement de l’Église catholique aux idéaux démocratiques.Les réveils vont donner naissance au mouvement missionnaire. En Europe, la question sociale rendue de plus en plus urgente par le développement du libéralisme politique et économique sera abordée en termes de mission. Hors d’Europe, le mouvement missionnaire accompagnera, en la précédant ou en la suivant, l’expansion colonisatrice. Quoi qu’on dise, le mission sera porteuse des mêmes ambiguïtés que le colonialisme et le libéralisme: il s’agit de toute façon à la fois d’une stratégie de puissance (affirmation de l’universalité de l’Église) et à la fois d’un mouvement généreux de civilisation de la planète (Sauver l’homme de la superstition).Les conséquences vont être importantes pour le Christianisme, et surtout pour le Protestantisme qui va progressivement se trouver confronté à une double nécessité: reconquérir une unité organique et doctrinale à l’échelle de la planète et se libérer du caractère national de son organisation. L’effort oecuménique du XXème siècle naîtra du constat qu’on ne peut pas présenter aux non-chrétiens des visions opposées et concurrentes du Christ.La menace atomique va conforter le sentiment qu’une présence unifiée du christianisme est de plus en plus nécessaire sur une planète désormais réunifiée par une menace unique. Avec le COE, les confessions protestantes renouent avec la vision mondialiste du rôle de l’Église que n’avait jamais abandonné l’Église catholique. La date majeure du XXème est sans doute celle de Vatican II qui consacre le basculement progressif du pôle romain de l’Église d’une stratégie de vérouillage (Trente) à une stratégie d’ouverture. Le Christianisme est désormais entré dans une ère de convergence. La question est de savoir si cette ère sera aussi féconde et aussi longue que l’ère des divergences. L’enjeu reste la construction d’une unité plurielle de l’Église. Par rapport à cet enjeu, le protestantisme est l’héritier une tradition de gestion fédéraliste de la pluralité.L’histoire est-elle finie?Quelques problématiques actuelles concernant la survie du christianisme pour conclure:- Le message de salut dont le christianisme est porteur a-t-il encore un sens?Après deux mille ans d’attente, l’annonce de l’avènement du Royaume de Dieu ressemble de plus en plus à une supercherie éventée. Cependant, l’apparition récurrente de messianisme de toutes obédiences au cours des 2000 dernières années place le christianisme dans une position particulière; le protestantisme tout spécialement, avec sa manière très particulière de gérer les rapports que la personne entretient avec la question du sens et de l’identité. Étant donné le rapport qu’entretient le Christianisme avec l’histoire, la question de savoir si l’histoire a une fin se ramène à la question de savoir si le Christianisme a une fin. La réponse du Christianisme est Oui: cette fin n’est autre que le jour du retour définitif du Christ. En fait, le Christianisme a su conquérir une position spécifique par rapport à cette question, et le protestantisme tout particulièrement qui installe le sujet au coeur d’une dialectique qualitative. Le salut par grâce au moyen de la foi n’a de sens que si l’on considère que le sujet est au carrefour des zones d’influence de l’origine et de la fin, des fondements et des buts, et qu’il entretient un rapport depuis toujours équivoque avec le recouvrement de ces deux zones d’influence. L’histoire et le christianisme finiront quand la question des fins et la question des buts cessera de se poser à l’humanité comme une question décisive. On en est loin.- La mort du Dieu bouche-trou et du Gott mi uns est-elle fatale au Christianisme?Particulièrement portée par la version luthérienne du protestantisme, la théologie de la croix nous rend assez insensibles à cette question.- L’oecuménisme et le dialogue inter-religieux:Nous l’avons vu, Vatican II consacre un basculement de l’histoire. Désormais, il va s’agir d’assumer les différences, que ce soit dans le dialogue inter-confessionnel ou dans le dialogue inter-religieux. Derrière les questions du rôle de l’Église, de l’universalité du message chrétien, derrière les stratégies contraires de rechristianisation de l’Europe se pose la question de la gestion du fait religieux. Ici encore, le protestantisme occupe une place particulière, de par son histoire qui l’a contraint à une certaine forme de tolérance.- Individu, communauté et universalité:Le protestantisme est la tendance religieuse qui a le plus développé l’idée que la foi était une affaire privée. La montée en puissance des questions éthiques, les troubles à l’ordre public provoqués par les mouvements intégristes, les atteintes aux libertés individuelles perpétrées par les mouvements sectaires montrent que cette option n’est pas suffisante même si elle est la garantie des libertés individuelles. Aujourd’hui, ces valeurs elles-mêmes exigent que l’on sorte de l’intériorité et qu’on risque publiquement des réponses provisoires. La religion, et tout particulièrement la chrétienne est à la charnière des sphères privées et publiques.

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